Fady Dagher

Synthèse du webinaire « L’éthique au cœur de la pratique policière »

Le 10 mai 2022, à l’occasion de l’événement L’éthique au cœur de la pratique policière, l’École des dirigeants recevait Fady Dagher, le directeur du Service de police de l’agglomération de Longueuil (SPAL). Fady Dagher, qui a pris les rênes du SPAL en 2017, après quelque 25 ans au Service de police de la Ville de Montréal, s’est entretenu avec la professeure agrégée Joé T. Martineau au sujet des réformes éthiques qu’il a implantées au sein de l’organisation.

Rapprocher la police de la communauté

Afin de resserrer les liens entre ses policiers et policières et la population, Fady Dagher a commencé par implanter le Programme de développement professionnel-Immersion. Chaque volontaire délaisse sa routine, son arme et son uniforme, pendant cinq semaines, pour vivre aux côtés de personnes qui connaissent des situations particulières : itinérance, problèmes de santé mentale, victimes d’agressions sexuelles, troubles du spectre de l’autisme. L’affectation change tous les deux ou trois jours.

Fady Dagher craignait de manquer de volontaires. Personne, croyait-il, n’allait accepter de se rendre aussi vulnérable. Erreur : il a reçu 108 candidatures pour les 30 places dans la première cohorte, dont celles de plusieurs membres du personnel qui comptaient de 15 à 25 ans d’expérience. Une surprise pour le directeur, qui s’attendait à ce que le programme interpelle surtout les jeunes et les femmes. « J’avais un préjugé », avoue-t-il avec le sourire.

Les résultats dépassent donc les espérances. Les volontaires estiment que l’expérience vaut « cinq à dix ans de carrière ». Les soirées au cours desquelles les policiers et policières cuisinent et mangent avec des familles de diverses cultures se terminent au petit matin tellement les conversations sont enrichissantes. Et les groupes communautaires, initialement réticents, ont tous insisté pour répéter l’expérience. À long terme, l’ensemble de l’effectif policier (668 personnes) devra participer au programme une fois tous les cinq ans.

Fady Dagher souligne que ce sont des membres du personnel civil du SPAL (socioanthropologue, politologue, psychologue) qui ont conçu le programme, en raffinant sa vision à la lumière de leurs expériences à l’extérieur des milieux policiers. Mais personne d’autre que lui, dit-il, ne croyait que l’Immersion devrait durer aussi longtemps!

Une police communautaire qui désamorce les crises

Et si cette immersion devenait permanente? C’est un des principes qui sous-tendent le programme RÉSO (Réseau d’entraide social et organisationnel). Dans une vingtaine de secteurs de l’agglomération, des policiers et policières agissent comme personnes-ressources locales, intégrées au tissu social et disponibles en tout temps. L’objectif : identifier des situations problématiques et mobiliser les partenaires afin de les travailler bien avant qu’elles deviennent des crises et qu’elles dégénèrent.

« Quarante-neuf pour cent des gens ne cherchent jamais de l’aide avant d’appeler au 911 », souligne Fady Dagher, en citant une étude produite il y a quelques années par l’Institut universitaire en santé mentale Douglas. Une police mieux intégrée pourra intervenir plus tôt, en faisant appel à des spécialistes en psychologie ou en travail social au besoin.

Penser la police en fonction des nouvelles réalités

Pourquoi changer ainsi la pratique policière? En mentionnant une étude de Ratcliffe*, Fady Dagher souligne que, sur 1000 crimes commis, 530 sont rapportés et seulement 4 mènent à des peines d’emprisonnement. Il considère donc qu’il est « ridicule » de consacrer tout l’effort policier à la répression. D’autant plus qu’entre 70 et 80 % des appels au 911 concernent des questions d’ordre social, notamment de santé mentale, plutôt que des crimes.

Le contraste entre les attentes et la réalité du travail policier entraîne aussi des conséquences pour les carrières. Des personnes qui « s’attendaient à arrêter des voleurs toute la journée » et qui sont plutôt confrontées à des malaises sociaux, pour lesquels elles ne sont pas suffisamment outillées, quittent le domaine après sept ou dix ans de service.

Le SPAL a donc réalisé une vidéo promotionnelle axée sur les interventions sociales afin de donner l’heure juste. Les recrues potentielles qui se sentent interpellées par ce genre de travail sont explicitement invitées à postuler – et vice versa. « C’est un contrat moral », dit Fady Dagher.

Implanter et pérenniser le changement

La nouvelle éthique policière préconisée par Fady Dagher bouscule certaines habitudes. Pour l’implanter, il a d’abord dû recruter ce qu’il appelle des « ambassadeurs et ambassadrices » et convertir une partie des sceptiques.

Il a donc choisi de s’immerger lui-même dans le quotidien de ses troupes : patrouiller de nuit, pendant des heures, à leurs côtés, en délaissant tout l’attirail de haut gradé. Et pas seulement une ou deux fois : régulièrement, depuis cinq ans, sauf au plus vif de la pandémie. « Les vraies discussions, c’est dans le vestiaire qu’elles se déroulent », précise-t-il.

C’est en démontrant aux membres de ses troupes qu’il comprend et respecte leur réalité que Fady Dagher en a converti quelque 20 % en ambassadeurs et ambassadrices pour ses réformes. Son seul regret : dans l’espace public, la démarche est encore trop associée à lui, personnellement. Il souhaite se retirer progressivement à l’arrière-plan afin d’assurer la pérennité du changement. Une fois le processus terminé, « Fady peut quitter demain, et ça reste ».

Des réformes à répandre ailleurs?

Pour que la police apprenne des expériences du SPAL, Fady Dagher suggère d’ajouter, à la fin des trois années de formation en techniques policières, une année supplémentaire consacrée à l’aspect humain, notamment à l’intervention en santé mentale. Et pourquoi pas un stage d’immersion dans la communauté à la fin du programme de 15 semaines de l’École nationale de police du Québec, à Nicolet?

Les leçons apprises peuvent aussi servir aux gestionnaires à l’extérieur du milieu policier. Au haut de l’échelle, souligne-t-il, la prise de décision repose sur des critères émotionnels et sur des qualités humaines. Au SPAL, les compétences relationnelles sont donc évaluées après chaque intervention et au moment d’attribuer des promotions, pour que les mêmes valeurs transcendent la hiérarchie. L’aspect humain est crucial, soutient-il, parce que la police travaille constamment en zone grise. « Parfois, la décision morale est plus importante que la décision légale. […] Ma cause, c’est mon citoyen. »

*Ratcliffe, Jerry. Intelligence-Led Policing, Second Edition, New York (États-Unis), Routledge, 2016, 222 p.

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