Difficile de concilier la mission d’entreprise et maximiser les profits tout en cultivant un constant souci éthique. À l’intérieur du cadre fiscal légal, comment déterminer les limites morales ou éthiques à ne pas franchir ? Sans entrer dans l’évasion ou la fraude, utiliser les dispositifs légaux pour réduire considérablement l’impôt à payer est-il acceptable ?

L'éthique dans l'optimisation fiscale : utopie ou horizon possible?

« Nous ne vous accusons pas d’être illégales. Nous vous accusons d’être immorales. »

Ce sont les célèbres paroles de Margaret Eve Hodge, il y a un peu plus de dix ans, alors qu’elle présidait le Comité des finances publiques du Royaume-Uni et s’attaquait aux pratiques abusives d’optimisation fiscale de Starbucks et Amazon.

Les intrications entre l’éthique et la fiscalité n’ont dès lors jamais cessé d’alimenter la chronique et de susciter des questionnements complexes.

L’École des dirigeants HEC Montréal a réuni le 14 juin 2023, dans le cadre du webinaire Éthique et fiscalité : des enjeux de société, deux expertes québécoises du sujet, Lyne Latulippe, professeure titulaire au Département de fiscalité de l’Université de Sherbrooke, et Brigitte Alepin, professeure au Département des sciences comptables de l’Université du Québec en Outaouais. L’échange était animé par Robert Gagné, professeur titulaire au Département d’économie appliquée de HEC Montréal.

Difficile de déterminer ce qui est éthique et ce qui ne l’est pas dans un contexte où certains comportements, certes perçus comme abusifs, respectent en tous points le cadre légal, ou quand les pays offrent des opportunités de planification ou encore sont laxistes en matière d’application des règles et des lois pour des raisons de compétitivité de leurs entreprises dans un contexte international. Tentons néanmoins de baliser le sujet.

Oui, le droit fiscal permet l’optimisation fiscale

« Rappelons d’abord le principe de base de notre droit fiscal, qui établit que chaque contribuable peut organiser ses affaires pour payer le moins d’impôt possible, avance d’entrée de jeu Lyne Latulippe. Si l’on se base uniquement sur notre jurisprudence et sur les fondements de notre droit fiscal, rien n’empêche vraiment une organisation ou un contribuable de tenter de réduire au maximum sa charge fiscale, si cela est fait en respectant la législation en vigueur. Reste à savoir si cela est moralement acceptable, et bien sûr les avis divergent. »

On ne se scandalise pas, par exemple, des cotisations au REER d’un contribuable, lesquelles lui permettent d’économiser de l’impôt de manière tout à fait légitime. La pratique est même encouragée. « On peut aussi, par exemple, être créatif dans notre façon de gérer nos emprunts, en s’assurant de le faire pour générer du revenu et non pour acheter une résidence personnelle. C’est une façon d’utiliser la loi à son avantage, et c’est également considéré comme légitime. »

Mais quand des contribuables élaborent des planifications fiscales destinées à éviter complètement l’impôt provincial sur les gains en capital, en utilisant diverses dispositions de la loi, comme ce fût le cas il y a quelques années « on tombe dans le moins éthique ou l’abusif, car nous savons bien que l’un des principes de base de notre système est que le gain en capital soit imposé », précise Lyne Latulippe. Contourner entièrement ce principe est à juste titre jugé abusif.

Entre ces deux pôles, il y a cependant une infinité de nuances et beaucoup de complexité.

La situation au Québec : des dispositions anti-évitement

Avant 1988, le gouvernement québécois ne disposait que de peu d’outils légaux permettant d’encadrer les planifications fiscales abusives. Des ajouts à la Loi de l’impôt sur le revenu ont alors permis de sanctionner certaines transactions « artificielles » dont le seul but « semblait être d’éviter l’impôt », dit Lyne Latulippe. « Par contre, la mise en œuvre de telles dispositions requiert de connaître les planifications utilisées par les contribuables. »

Le gouvernement canadien a resserré la vis quelques années plus tard en instaurant la règle générale anti-évitement. « Il y a eu toute une évolution jurisprudentielle, précise Lyne Latulippe. Et, peu à peu, des mécanismes permettant de mieux déceler les planifications fiscales abusives ont été mis en place – en particulier depuis 2010. Cette réflexion se poursuit au gouvernement. »

À l’international, des leviers constitutionnels

Dans certains pays, la constitution indique la nécessité de payer sa « juste part d’impôts ».

C’est le cas de plusieurs pays africains, et même de certains pays du G7 comme la France ou l’Italie.

« Ces leviers constitutionnels servent en partie à baliser la fiscalité des multinationales qui ont des activités dans plusieurs pays sans y contribuer avec leur juste part d’impôt », ajoute Brigitte Alepin. Il reste que cette notion de juste part est complexe, comme le souligne notre animateur Robert Gagné en séance de questions. « Comment définir ce qu’est la juste part ? Pour un économiste, cette notion n’existe pas vraiment, et sa définition est très ambigüe. » Réponse de Brigitte Alepin : « Généralement, on détermine la juste part en fonction de la capacité de payer. Mais il est vrai que cette notion de capacité de payer est, elle aussi, ambiguë. Parle-t-on de la capacité de payer en fonction des revenus seulement, ou également des actifs? »

Malgré ces dispositions constitutionnelles, le contexte de concurrence internationale pousse les pays à tolérer les planifications fiscales qui manquent d’éthique pour continuer à attirer les multinationales. « On l’a bien vu lors du scandale fiscal LuxLeaks », rappelle Brigitte Alepin.

Tirer parti de la loi – oui, mais jusqu’où?

Lyne Latulippe et Brigitte Alepin opinent en chœur : il est normal pour une entreprise de chercher à optimiser sa fiscalité. Mais gare à celles qui dépasseraient les bornes, car en plus de risquer d’enfreindre la loi ou d’éveiller les soupçons de l’administration fiscale, il y a des risques financiers importants dans certains cas, par exemple lorsque la planification fiscale nécessite la mise en place d’une structure complexe sur le plan administratif, qui requiert une multiplication d’entités dans le groupe.

Le risque réputationnel est également à considérer. « Une entreprise sensible à sa réputation ne souhaitera pas faire la première page des journaux avec une planification agressive dont elle devra se défendre par la suite », souligne Lyne Latulippe.

Vers des pratiques plus éthiques

Une chose est sûre : l’opinion publique et les administrations fiscales vont continuer d’exiger des pratiques plus éthiques. En tant qu’organisation, il est impossible de s’épargner une réflexion sérieuse à ce sujet.

Bonne nouvelle : le Québec aussi semble sur la bonne voie, et nos panélistes constatent que cette préoccupation est grandissante, tant dans les grandes organisations qu’au sein des plus petites entreprises.

Vous souhaitez implanter des pratique exemplaires en éthique dans votre organisation, ne manquez pas la prochaine cohorte de la certification en éthique et conformité pour vous hisser parmi les meilleurs.

Des questions? Prenez rendez-vous avec Joelle Zoghbi, chargée de programmes.